Le Courrier - Dyslexie : la fronde contre le DIP se politise

Article paru dans Le Courrier, le dimanche 11 mars 2018, par RACHAD ARMANIOS

Dyslexie: la fronde contre le DIP se politise

Députée PLR, Nathalie Fontanet demande le rétablissement des mesures pour les élèves souffrant de troubles «DYS». Anne Emery-Torracinta est attaquée sur son terrain de l’école inclusive.

«Sous prétexte d’une intégration pour tous et d’égalité de traitement, Anne Emery-Torracinta est en train d’exclure toute une catégorie d’élèves!» Nathalie Fontanet, députée PLR, demande dans une motion le rétablissement des aménagements en faveur des élèves souffrant de troubles «DYS» – dyslexie, dysorthographie, dyscalculie, dysgraphie et dyspraxie. Soit près de 2800 élèves à Genève.

Comme l’a révélé Le Courrier (dans son édition du 23 novembre 2017), le Département de l’instruction publique (DIP), dirigé par la socialiste Anne Emery-Torracinta, a remplacé par une nouvelle directive celle sur les «DYS», introduite en 2009 par le précédent chef de l’Ecole, Charles Beer. Le but était d’en élargir le champ.

«Cette directive prévoyait des aménagements faciles et peu coûteux à mettre en place» Nathalie Fontanet

Désormais, elle concerne aussi les élèves non francophones, en grandes difficultés d’apprentissage, ainsi qu’à haut potentiel intellectuel, sportif ou artistique. Ce nouveau cadre se veut toutefois transitoire, puisqu’une adaptation est prévue pour l’année prochaine. En attendant, l’immense majorité des élèves qui bénéficiaient déjà d’aménagements les ont vus reconduits tels quels.

Mieux accompagner les élèves «Cette directive prévoyait des aménagements faciles et peu coûteux à mettre en place. Elle a surtout fait la preuve de son efficacité, à la satisfaction des parents, des thérapeutes et des enseignants», relève Mme Fontanet. Fin novembre, l’association Dyslexie Suisse romande regrettait elle aussi dans nos colonnes que plusieurs mesures soient passées à la trappe. Ainsi, raccourcir un examen n’est plus possible et la tolérance sur les fautes d’orthographe s’est largement réduite. De même, il n’est plus question, en cas de troubles sévères, d’être exempté de certains examens écrits de français. Pour Mme Fontanet, c’est comme si on retirait sa prothèse auditive à un malentendant, puisque l’orthographe peut être rédhibitoire pour ces élèves.

Le DIP, lui, a expliqué que les clarifications apportées ont pour but de mieux accompagner l’élève tout en restant dans les objectifs scolaires. Il s’agit d’éviter que des aménagements ou des exigences moindres ne le mettent en difficulté plus tard dans son parcours et ne se heurtent aux contraintes d’un diplôme fédéral.

Changement mal accueilli? «Ces mesures ont permis à de nombreux élèves d’obtenir des diplômes, conteste Mme Fontanet. En toute transparence, les aménagements étaient notifiés dans le bulletin scolaire, cela n’a jamais posé de problèmes légaux!» Ces troubles ne sont pas liés à des déficits intellectuels et nombre de personnalités en souffrant ont réussi une brillante carrière, ajoute la députée. Ainsi, le Prix Nobel de chimie vaudois Jacques Dubochet est-il dyslexique.

«Ce nouveau cadre est problématique car il met dans le même panier des élèves avec des problématiques qui n’ont rien à voir», complète Esther Hartmann, députée verte et secrétaire générale de l’Association genevoise des psychologues. Selon elle, le changement est plutôt mal accueilli, sauf par des directions d’établissement, car il y a parfois des réticences à mettre en place des aménagements qui peuvent compliquer la tâche des équipes pédagogiques. Et de souligner, comme Mme Fontanet, l’opacité qui aurait entouré l’élaboration de la directive.

«A la tête du client» «Elle a fait au contraire l’objet d’un large consensus au sein de la commission Ecole inclusive, où la représentante des parents d’élèves dyslexiques n’a pas fait opposition, conteste Mme Emery-Torracinta. Le consensus a porté sur une mise en place en deux temps, qui prévoit pour la prochaine rentrée de fixer les règles sur l’adaptation des objectifs scolaires et les notes. C’est ce travail en deux temps que certains cherchent à instrumentaliser pour des questions électoralistes! Je n’ai pas de problèmes à ce qu’on revoie la notion d’évaluation pour des élèves souffrant de troubles, mais cela doit se faire selon des critères très clairs et la procédure doit être la même pour tous. Les élèves ‘DYS’ ne sont pas les seuls concernés.» La magistrate ajoute: «S’il a été décidé de faire évoluer la directive, c’est bien parce qu’elle posait certains problèmes sur le terrain. Il y avait notamment des parents se plaignant que leur enfant n’avait pas accès à des aménagements.»

«C’était un peu à la tête du client», s’accorde à dire Mme Hartmann. Mais elle estime que cela risque de le devenir davantage puisque les directions d’établissement auront un pouvoir d’appréciation renforcé. Quant à Mme Fontanet, candidate au Conseil d’Etat, elle se défend de tout opportunisme: «J’ai toujours défendu l’inclusion scolaire définie et maîtrisée. Une place pour chacun et non pour tous.»